La douleur c’est être comme un arbre
Les personnes douloureuses vivent parfois des situations de survie comparables à ce que vivent les arbres.
Que feriez-vous si vous étiez coincé sur un territoire limité, exposé à la violence des éléments sans protection ni fuite possible, n’ayant d’autres ressources pour vous nourrir que ce qui se trouve sur place, incapable d’aller chercher ailleurs ?
Une mission qui semble impossible ! C’est pourtant ainsi que certaines créatures terrestres vivent depuis près de 400 millions d’années.
Voici l’introduction du documentaire Le Génie des Arbres d’Emmanuelle Nobécourt, qui a inspiré ma réflexion et cet article autour de l’analogie avec les personnes douloureuses.
Ce documentaire décrit les capacités d’adaptation des arbres et leurs stratégies face à tous les climats et face aux situations les plus hostiles.
Les arbres sont capables à un endroit donné de faire avec ce qui est disponible à cet endroit-là.
Bruno Moulia, agronome physicien biomécanicien, directeur de recherche à l’INRAE, enclin à transmettre son émerveillement devant les facultés étonnantes du règne végétal
Ainsi les arbres s’adaptent aux contraintes, ont de multiples stratégies d’adaptation, dont certaines qui pourraient être mises en parallèle avec les capacités de la personne douloureuse.
On peut en effet trouver plus d’une douzaine d’analogies entre ce que vivent les arbres d’une part, et les personnes douloureuses d’autre part.
Adaptation forcée
Pour commencer, ils sont tous les deux obligés de s’adapter au milieu où ils vivent.
Parfois, la personne douloureuse voit ses possibilités de mouvement et d’activité se restreindre. Au-delà de devoir parfois s’adapter à un espace limité, il y a aussi parfois la contrainte de ne pas pouvoir bouger.
Pour la personne douloureuse c’est aussi une nécessité de s’adapter à un environnement social restreint, avec plus ou moins de compréhension de la part des proches.
Il s’agit aussi d’un travail énorme d’acceptation de ses propres limitations.
Transformer le handicap limitant en atout
Cependant, coincés par leurs limites, les arbres ont transformé ce handicap en atout. Ils savent en tirer profit.
Les limites que nous percevons comme quelque chose à surmonter ou à dépasser, un arbre lui les transforme en opportunité. Il ne se bat pas contre ses limites, il danse avec elles.
Janine Benyus
De même certaines personnes douloureuses ont transformé leur douleur en tremplin, moteur ou inspiration pour vivre une vie épanouie.
Percevoir l’invisible sous la surface
Pour certains, l’arbre semble inerte et non vivant, alors qu’il est réellement en expansion et en adaptation permanente.
Souvent les personnes douloureuses se sentent diminuées dans le regard des autres. Pourtant, personne d’autre ne met autant d’énergie à vivre chaque minute du quotidien. L’activité est constante. « C’est un travail à part entière que de prendre soin de soi » me confiait une patiente.
Personne n’est allé aussi loin dans la compréhension de ses propres peurs, automatismes, croyances. Personne ne passe autant de temps à vouloir comprendre le fonctionnement de la douleur qu’une personne qui cherche à mieux vivre sa propre douleur.
Glorifier les petits miracles
Seulement avec de l’eau et du CO2, les arbres fabriquent un matériau bien plus complexe : le bois.
De même, les personnes douloureuses sont souvent plus à même de percevoir la richesse dans les petits moments du quotidien.
On découvre les petits bonheurs du quotidien, et chaque défi est une petite victoire, comme de finir une recette de gâteau au chocolat.
Une patiente
Le fil des expériences antérieures
Les cernes du bois nous montrent que l’arbre « se construit sur lui-même, se construit autour de son histoire passée », nous rappelle Bruno Moulia.
Comme pour un arbre, on ne peut faire table rase du passé et repartir à zéro. A la fois, notre futur se construit sur les bases du passé et de notre présent douloureux.
Mais en plus, notre passé, nos expériences antérieures (ex : de douleur, de soin, de résolution de problématiques) et notre conditionnement (ex : familial, sociétal) vont influencer nos futures décisions et comportements.
La résilience pour se reconstruire
Un arbre qui flambe, s’adapte et se redresse, c’est une danse. Malgré tous les aléas de la vie, un arbre déstabilisé revient vers une forme relativement équilibrée. Ça montre la résilience, la capacité de repartir qui est la sienne.
Bruno Moulia
Le documentaire précise que la forme de l'arbre reflète tout ce qu’il a traversé au cours de sa vie. Il suffit de savoir le regarder pour connaitre son histoire.
De même, une personne douloureuse qui adapte ses pensées et ses comportements pour rebondir est résiliente. Elle a réussi à retrouver la voie du développement malgré l’adversité, cela en modifiant certains processus, par exemple :
- retrouver confiance en soi,
- donner du sens à sa vie et à sa douleur,
- accepter d’être accompagné-e,
- rechercher les éléments sécurisants pour soi,
- et exprimer, échanger sur son vécu pour le digérer.
Souvent ces personnes-là sont reconnaissables entre mille.
Adaptabilité permanente
Les arbres sont constamment en train de s’adapter aux conditions qui changent, comme les adaptations aux variations de lumière disponible, ou une plasticité architecturale en fonction du voisinage.
Jana Dlouha, INRAE
Une fois la première phase de limitation acceptée et surmontée, la personne douloureuse est plus à même de rebondir face aux différents obstacles et éléments de contexte pénalisants rencontrés.
Ses stratégies d’adaptation et ses capacités de résolution de problème lui permettent de transposer certains acquis à une nouvelle situation contraignante.
Optimisation énergétique
De plus, comme l’explique Bruno Moulia, sous la contrainte, l’arbre sait s’adapter. Par exemple au vent, il crée une croissance accrue en diamètre, réduit sa croissance en hauteur, et crée un ancrage plus fort.
Mais de façon encore plus étonnante, explique-t-il, l’arbre a la capacité de discriminer différents types de vent pour ne réagir que lorsque c’est réellement nécessaire. Ainsi il ne dilapide pas son énergie et n’active ses mécanismes de protection uniquement qu’en cas de danger réel.
Pour la personne douloureuse, à force, sa finesse de perception à la fois de ses ressentis physiques mais aussi des paramètres du contexte, lui permettront d’anticiper et d’adapter ses activités de façon optimale.
Intuition et perception accrues
L’arbre a une connaissance parfaite de son environnement. Il perçoit des infimes changements afin de pouvoir s’y adapter. Le chercheur Stefano Mancuso (université de Florence), biologiste passionné par les capacités sensorielles des plantes, ajoute que les arbres sont plus sensibles que les animaux. Les animaux, eux, peuvent s’échapper même en dernière minute d’un environnement hostile, alors que les arbres ne peuvent pas fuir.
De même, au fil du temps, la personne douloureuse développe des capacités souvent oubliées ou négligées par les personnes non touchées par la douleur. Elle devient ainsi plus à même de savoir ce qui est bon ou pas pour elle. Elle fera plus facilement le tri de ce qui lui convient ou non. Enfin, elle réalisera plus clairement où sont ses limites.
Stratégies d’adaptation multiples
Les arbres assurent leur défense par différentes tactiques : arsenal dissuasif défensif (ex : piques), allié que les prédateurs n’aiment pas (ex : fourmis), libération de substances répulsives (ex : chez l’acacia, modification chimique de ses feuilles pour ne pas être brouté par les girafes).
A l’instar des arbres, les personnes douloureuses développent différentes stratégies, par exemple : de compréhension des mécanismes, d’exercices et mouvements physiques, de perceptions sensorielles, de comportements, de croyances et pensées, d’identification et compréhension des émotions.
Coopération plus que lutte ou autonomie
Francis Martin, microbiologiste à l’INRAE, explique la symbiose mycorhizienne comme une alliance bidirectionnelle entre les plantes et les champignons. Dans ce partenariat gagnant-gagnant, il existe une complémentarité et une nécessité de communication intime, avec influence dans les deux sens.
Janine Benyus rajoute que les arbres pratiquent une stratégie de coopération pour s’adapter. Ainsi, ils valorisent la mutualisation plutôt que le rapport de force.
Au stade d’apaisement, la personne douloureuse aura, elle aussi, laissé de côté les réactions de lutte ou de recherche de justice et de reconnaissance à tout prix. Elle aura également accepté que, parfois, vouloir tout faire tout seul a ses limites. Elle sera alors en mesure de solliciter des aidants, d’accepter de l’aide et d’aller chercher du soutien supplémentaire si nécessaire.
Créativité novatrice
Les chercheurs étudient les solutions innovantes mises en œuvre par les arbres, comme par exemple le système d’aspiration de la sève vers les feuilles. Ainsi les arbres deviennent des modèles d’inspiration pour nos propres innovations humaines.
A l’identique, les personnes douloureuses, comme toutes personnes ayant surmonté l’adversité, peuvent devenir des modèles inspirants. Elles ont par exemple des stratégies d’adaptation face à l’adversité, une vision de la vie ou encore un recul qui sont riches d’enseignement pour tous.
Attirer à soi
Les arbres ont la capacité de faire venir les ressources à eux, dont l’eau. Ainsi, le chercheur Dominick Spracklen et son équipe ont prouvé que c’est la forêt qui génère la pluie et pas juste seulement la pluie qui permet l’existence de la forêt. Il y a donc une notion d’équilibre, de cercle vertueux où l’évaporation déclenche une atmosphère humide, qui provoque la pluie. C’est-à-dire que la forêt crée son approvisionnement et joue sur l’environnement bien au-delà de son territoire, grâce au vent sur des centaines, voire des milliers de kilomètres.
Le documentaire rappelle que l’arbre a par conséquent le pouvoir d’agir sur l’environnement bien au-delà de son territoire. Il est parvenu à optimiser les contraintes de sa condition tout en devenant bénéfique pour tous ceux qui l’entourent.
Et si, à force de travail sur soi pour apprendre à mieux comprendre sa douleur, à mieux se connaître, une personne douloureuse était, comme un arbre, à influencer le monde autour d’elle. Et si, à force de persévérance dans sa quête de justesse, la personne douloureuse rassemblait autour d’elle des personnes et des guides compatissants, informés et ouverts. Finalement, et si son parcours était source d’inspiration pour les autres ?
Rayonner
Dans la continuité du point précédent, il y a cette notion d’enrichissement large aux alentours.
Les arbres ont appris à optimiser leur habitat, et même à le rendre meilleur par leur simple présence. Ils ne cessent jamais d’enrichir l’endroit où ils se trouvent, le rendant meilleur au fil du temps [y compris pour les autres autour], et tout cela sans se déplacer.
Janine Benyus
La personne douloureuse qui a évolué pour continuer à vivre malgré la douleur met en place elle aussi une optimisation de son environnement : à la fois par des choix matériels mais aussi par un recul sur les choses et un abord différent des différentes problématiques du quotidien.
Quand l’énergie dépensée face à la douleur ou en soin est importante, on ne peut plus se permettre d’en perdre face à des éléments préoccupants mais hors de notre influence. En revanche, on devient de plus en plus efficace à modifier vers le mieux les éléments de notre entourage sur lesquels nous avons de l’influence.
Ce nouvel environnement, matériel, géographique, social, optimisé est source d’enrichissement pour les personnes présentes dans l’entourage.
Une nouvelle vision
Pour conclure, ce documentaire sur les arbres appelle à redonner toute leur place aux arbres.
Hypersensibles et ultra-connectés, les arbres sont en constante interaction avec leur environnement. Ils sont un modèle de résilience, d'équilibre énergétique et de gestion des ressources. Ce documentaire permet aussi de déstabiliser la vision classique que l’on a des plantes. Les idées communes sont remises en question et la révolution est de comprendre que les arbres sont des êtres actifs et engagés dans une coopération mutuellement bénéfique.
Les arbres sont des superhéros et si l’on s’en inspirait ?
Les personnes douloureuses sont des superhéros et si l’on s’en inspirait ?
Est-ce que ces analogies entre un arbre et une personne douloureuse vous interpellent ? Comment vous touchent-elles ?
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Bonsoir Marie, oui votre article m’a beaucoup intéressée.
Nous utilisons souvent la visualisation de l’arbre en sophrologie pour ce qu’elle invite à ancrer nos racines, à sentir force et stabilité, nourrissement et vitalité… Je suis inspirée par ces stratégies que développent les arbres, et que vous expliquez si clairement. Je vais pouvoir réutiliser ces analogies sous forme de métaphores en séance, pour les souffrances physiques comme pour celles de l’esprit.
Je ne commente pas généralement mais vos articles m’intéressent toujours.
Merci
Merci Véronique pour ce partage d’expérience !
Vous proposez même une extension de la métaphore, merci.
Je suis enchantée que vous puissiez réutiliser ce contenu 🙂
Marie
J’utilise beaucoup les arbres dans mes méditations guidées. Je lis même du Francis Halle par exemple. Je fais pratiquer la marche méditative zen et avant de démarrer, nous expérimentons la posture de la montagne du yoga mais elle peut aussi devenir une posture d’ancrage profond et elle devient une variation de la posture de l’arbre. Arbre, forêt, pluie, les éléments naturels sont très parlants pour les méditations avec des gens douloureux. La visualisation et l’appropriation marche très bien… Les racines, l’extension des branches, la timidité, les torsions, les trognes, l’eau qui ruisselle et permet la renaissance,… Tout est parlant et inspirant…
Merci Marie pour ce partage d’expérience
Marie