Les transformations chez l’éducateur thérapeutique

Être ou devenir éducateur thérapeutique dans une compréhension biopsychosociale de la douleur, qu'est-ce que ça implique pour nous côté soignants ? Quelles transformations cette conception implique-t-elle dans nos postures professionnelles d'éducateur thérapeutique ? Quelles implications personnelles ce cheminement professionnel peut-il avoir ?

La douleur dans une compréhension biopsychosociale

Avoir été formé à l'approche Expliquer la douleur (ou équivalent, c’est-à-dire une approche on l’on comprend, on accepte et on intègre à ses pratiques une approche biopsychosociale) déclenche parfois des inconforts professionnels, voire personnels.

Cette approche modifie ou réaffirme notre conception de la douleur. La compréhension que la douleur peut être multifactorielle implique des propositions thérapeutiques qui ont à être multifactorielles pour aider efficacement les patients.

Les transformations possibles quand on devient éducateur thérapeutique

Cependant, pour nous professionnels de santé, cette évolution de conception peut être source de remises en question (et en parallèle d'un émotionnel chamboulé).

Plus d'écoute que de transmission

Parce qu'être en mesure d'aborder une douleur potentiellement multifactorielle, cela requiert d'être à l'écoute de celui qui la vit. Or notre formation nous a appris à extraire au plus vite les indices qui alimenteront notre raisonnement clinique pour aller droit au but vers une proposition thérapeutique. Nous avons notre liste de questions fermées pour répondre à l'attente fréquente (ou interprétée) des patients à être soulagés rapidement.

Mais face à une douleur potentiellement multifactorielle, la rapidité déclenche des raccourcis. Cela nous fait souvent passer à côté de facteurs contributifs qui se révèlent petit à petit dans le récit du protagoniste.

Pourquoi ?

Déjà parce que le milieu de santé va rarement les explorer ces facteurs, que le patient est donc rarement sollicité en ce sens. Et aussi parce que souvent le patient n'a pas conscience que ces autres facteurs que tissulaires, physiques ou biologiques, peuvent avoir leur importance dans son expérience de douleur.

Du contrôle à la collaboration thérapeutique

Savoir traiter une douleur multifactorielle, c'est aussi accepter son caractère non-linéaire, et par conséquent parfois imprévisible, et incontrôlable.

Je ne peux plus être professionnel de santé sachant tout, maîtrisant tout, décidant tout. Je deviens co-partenaire du patient qui vit cette expérience thérapeutique que je lui propose (et dont il dispose). Cela implique nécessairement d'expliquer, de discuter, d'accompagner : soit une posture incontournable d'éducateur thérapeutique !

À vouloir garder une posture ascendante de sachant invulnérable, je m'expose à la déconvenue. Par la définition même de ce qu'est une douleur multifactorielle, il y aura forcément des cas où le patient reviendra exposer une évolution que je n'avais pas annoncée ou l'impact d'un facteur que je n'avais pas anticipé.

À vouloir maîtriser, je me sentirais alors en difficulté de ne pas avoir compris, voire je me sentirais jugé par le patient qui exigerait que je trouve une réponse.

Par ailleurs avancer au mieux face à cette dimension multifactorielle passe par l'implication du patient qui comprend son rôle et l'impact de facteurs que lui seul peut moduler.

Du soignant magistral au soignant humain et vulnérable

Par conséquent accompagner un patient dans le traitement d'une douleur non-linéaire implique d'accepter de montrer sa vulnérabilité. Cela implique d'accepter que je ne peux pas la régler aussi mécaniquement que lors d'une douleur linéaire.

D'une part, cela rend précaire toute démarche de vouloir en apprendre plus pour pouvoir gagner en contrôle. Même si en apprendre plus peut venir répondre à d'autres objectifs, une fois cette compréhension multifactorielle intégrée dans ma pratique, avoir plus de connaissances ne me permettra pas de gagner toujours plus en contrôle.

Tout simplement parce que ces mécanismes d'une douleur multifactorielle n'autorisent pas un contrôle absolu !

Et d'autre part, cela peut réveiller des sentiments inconfortables liés à l'ego, à la légitimité, à la valorisation de soi et de son rôle. Je ne peux plus exposer mon importance en affichant mes succès et ma puissance.

Mais je peux découvrir une autre dimension à ma posture professionnelle (et personnelle) : la préciosité de la sagesse à accompagner avec humilité et bienveillance.

Transformations et impacts personnels de devenir éducateur thérapeutique

Voici quelques conséquences d'avoir conscience du fonctionnement de douleurs multifactorielles. Et cette transformation dans nos postures de professionnels peut se faire avec plus ou moins d'aisance. Parce qu'il n'est pas simple de changer, parce qu'il peut être trop déstabilisant de changer, parce que cela peut réveiller de vieilles blessures (qui suis-je vraiment, comment est-ce que je m'accepte tel que je suis...), alors nous pouvons déclencher des mécanismes de protection.

La peur peut en être un. Nous trouverons alors des excuses pour ne pas sortir de notre zone de confort. "Oui c'est bien, c'est intéressant, mais c'est trop compliqué, je ne sais pas exactement comment faire. Alors je préfère ne pas essayer pour ne pas rencontrer d'échec ".

Le découragement peut en être un autre. Face à l'ampleur des compréhensions et des changements à intégrer, nous préférons baisser les bras.

La colère pourrait aussi poindre son nez. Elle pourrait être déclenchée par une nouvelle conception qui viendrait heurter trop brutalement une autre présente déjà en nous. Elle pourrait aussi apparaître à l'idée que nous aurions un changement à effectuer en nous.

Pour ne pas nous sentir frontalement agressé par cette prise de conscience, nous pouvons préférer reporter une colère sur l'extérieur. Nous laissons alors ces éléments qui voudraient sortir de notre inconscient sous le tapis. Et nous attribuons notre inconfort à un locus externe. "Le système de santé ne m'aide pas. Les autres professionnels de santé n'ont pas le bon discours. Les patients n'ont pas envie d'avancer. Les formations ne viennent pas répondre à mes attentes..."

Comme il est intéressant d'observer que nous vivons nous-mêmes les mêmes étapes que le patient que nous accompagnons sur le cheminement de compréhension, d'implication et de récupération face à une douleur multifactorielle !

Est-ce que cette réflexion vous interpelle ? Voyez-vous les choses différemment ? Travailler dans un modèle biopsychosocial a-t-il chamboulé vos postures professionnelles et/ou personnelles ? Quelles transformations avez-vous vécues dans votre cheminement d'éducateur thérapeutique ?

N'hésitez pas à partager votre réflexion en commentaire !

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