La douleur, c’est parfois comme d’être chauve
L’autre jour, un patient m’a fait un compliment sur ma coiffure. Il la trouvait différente de d’habitude. Et de s’extasier sur toutes les possibilités de coiffage et sur la chance que j’avais de pouvoir jouer ainsi avec ma chevelure.
En effet, lui étant chauve, il considérait qu’il n’avait plus cette chance. Il appréciait cette originalité et cette créativité chez ceux qui pouvaient en profiter.
Rien de déplacé dans ces échanges avec ce patient. Juste une discussion, au décours d’une séance, qui m’a interpellée parce qu’elle m’a fait penser à ce qu’on peut vivre dans la douleur.
Une restriction de possibilités dans la douleur
En effet, dans des états douloureux, on vit souvent :
- une perte de possibilités fonctionnelles et physiques,🚷 d’activités, de déplacements, 🚳
- mais aussi une perte d’interactions (« je n’y vais pas parce que ça va trop durer et que je ne serai pas bien après »), de vie sociale, professionnelle, familiale…
Souvent même, au-delà de ces impacts, il existe aussi des restrictions plus imperceptibles, moins communément discutées. On perd souvent une variabilité dans tellement de domaines différents.
Par exemple dans :
- l’expression verbale (ex : je ne parle que de ma douleur, je n’en parle par exemple qu’au passé à toujours revenir sur la façon dont ça a commencé, je ne vis plus dans les autres modes temporels),
- le comportement, les stratégies face à la douleur,
- les lieux visitées (« non là je ne peux pas j’ai mon rdv chez XX » *à remplacer au choix par un thérapeute ou médecin),
- les personnes croisées,
- les sensations corporelles ressenties (« j’ai encore quelque chose de travers, je me sens détraqué de partout »),
- …
Vous l’avez peut-être ressenti ou vécu cette perte de possibilités 🚫, soit en raison de votre état de capillarité, soit en raison d’une douleur.
Vivre (ou imaginer) l'expérience pour mieux comprendre
Si vous ne voyiez pas de quoi je parle, imaginez à l’inverse que vous ayez beaucoup ou plus du tout de cheveux, comment feriez-vous ? Comment vous sentiriez-vous ? Cela aurait-il un impact sur votre vie de façon plus large ?
Imaginez un cas où vous l’avez choisi et ou vous êtes allé-e vous faire tondre (ou faire ajouter des extensions).
Imaginez maintenant une autre situation où on vous l’impose.
Ça me fait penser à ce jeu télévisé (débile oserais-je dire) japonais où on rasait la tête des participants quand ils répondaient faux à la question.
En bref, la douleur c’est parfois comme d’être chauve, ça restreint 🚫les possibles. Et comme d’un point de vue capillaire, cet état peut être choisi, maîtrisé ou subi (ce qui ajoute une dimension émotionnelle).
Quelle chance !
« Et pourtant », ai-je rétorqué à ce patient chauve, « vous, vous avez la chance de pouvoir porter le béret facilement. Vous pouvez même varier : chapeau, casquette, bonnet… » 🤠👲🏽
De la même façon, malgré la douleur, est-ce que je peux progressivement réintroduire de la nouveauté, redécouvrir de nouvelles possibilités ?
Le point de vue du thérapeute :
En tant que thérapeute on peut se placer comme libérateur de possible. Quel que soit notre domaine de compétences, cette mission peut être bien plus large que nos seules techniques classiques. Par exemple, avant de pouvoir bouger différemment, peut-être le fait de s’asseoir sur une autre chaise que d’habitude pour manger pourrait être un premier pas. Parfois en séance j'aime utiliser cette métaphore de la perte des possibilités, pour rebondir et co-établir un champ de récupération de possibles. Elle me permet d’impulser une redécouverte créative qui redonne envie et facilite l'éventuelle récupération fonctionnelle ensuite.
Le point de vue de la personne douloureuse :
Quand on est douloureux, on se sent parfois diminué, limité à ne plus faire comme avant. Cette métaphore de la perte des possibilités permet de réaliser que l’impact est plus large que nos seules fonctions physiques. N’est-ce pas une piste prometteuse ? Parce que, du coup, ça donne tellement de choix pour se mettre en action et retrouver progressivement des possibles !
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