faire entendre une injustice - réflexion ABC Douleur

La douleur c’est comme une injustice

Quand on se sent victime d’une injustice, on tente désespérément de faire entendre notre voix. On voudrait être compris, faire bouger les choses. Face à la douleur, parfois, on lutte de la même façon pour se faire entendre et avancer.

Notre point de vue

Que vivons-nous ? Que ressentons-nous ?

Ne pas se sentir entendu

Quand on vit ce qu’on estime être une injustice, on a appliqué notre propre mode de raisonnement à une situation et on en est arrivé à cette conclusion. Nous souhaiterions alors que le monde autour de nous suive ce même raisonnement, avec les mêmes principes et valeurs, et qu’il arrive (logiquement) à la même conclusion que nous.

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De même, dans une expérience douloureuse, nous pourrions logiquement penser que si nous déclarons être douloureux-se, il n’y a pas de raison que ce point soit discuté. Et nous nous attendons à ce que ce fait personnel devienne le point de départ d’une action extérieure.

Cependant, ce que nous vivons comme un fait prégnant dans notre vie n’est pas visible aux yeux des autres. Ce que les autres en perçoivent sont notre expression, nos mots pour décrire cette douleur ainsi que nos comportements.

Il est intéressant de noter qu’on a longtemps considéré que des êtres non doués de langage ne pouvaient pas être douloureux, comme les nouveau-nés, les personnes atteintes de troubles psychopathologiques ayant du mal à s’exprimer, les personnes dans le coma, les animaux... Cela a eu pour conséquence de ne pas considérer l’existence de cette douleur et ses répercussions (récente mise en évidence de la douleur du fœtus), de ne pas la prendre en compte (aucune modification de l’acte provocateur), de ne pas essayer de l’apaiser (aucune analgésie).

Parfois quand on est douloureux, malgré nos descriptions et nos comportements, l’autre face à nous évite le sujet et se concentre sur un autre aspect. Dans ces cas, on se sent incompris-e. On a le sentiment de ne pas être entendu-e et que notre douleur n’est pas reconnue.

Pourtant je disais que j’avais mal, je décrivais ce que je ressentais… Mais j’ai dû attendre 3 ans et de grosses complications pour qu’on m’envoie vers ce médecin spécialiste qui m’a écouté. Il a reconnu mes symptômes et m’a proposé des outils pour apprendre à agir différemment face à mes troubles fonctionnels. La douleur n’a pas totalement disparu, mais j’avais enfin l’impression d’être entendu.

Un patient

Voire se sentir nié, culpabilisé, jugé

Quand on ne se coule pas dans le courant, la façon dont les autres ne nous suivent pas peut être vécue violemment.

Certaines attitudes, expressions et remarques des autres sont volontairement hostiles. Mais la plupart de ces retours extérieurs sont spontanés et inconscients, et ne cherchent pas à nous contredire. Malgré tout, notre forte émotivité, lorsqu’on a l’impression de se battre pour quelque chose, nous donne une plus grande sensibilité. Nous réagissons plus intensément et nous ressentons plus profondément les paroles et les actes des autres.

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Ainsi parfois lorsqu’on vit déjà l’épreuve de la douleur, celle du regard et de l’opinion des autres est encore plus vive. On peut avoir le sentiment que notre vécu n'est pas reconnu. On peut avoir l'impression de déranger et se sentir coupable d'être douloureux. Parfois même, on peut ressentir le besoin de prouver, de justifier sa douleur pour espérer être entendu.

Quand le spécialiste m’a dit qu’il n’y avait rien aux examens, j’ai ressenti qu’il me disait que je n’avais pas de raisons valables d’être douloureux. Ça a été comme une gifle. J’ai eu l’impression de revenir dans le passé à me faire gronder parce que j’avais menti. Mais j’avais vraiment mal !

Un patient

En gros, elle me disait que j’étais trop exigeante et que normalement elle n’avait pas besoin de faire tout ça avec les autres patients. Alors que j’avais juste demandé qu’elle m’explique ce qui m’arrivait et l’intervention qu'elle avait prévue. J’étais très mal en sortant du rendez-vous.

Une patiente

Le point de vue extérieur

Et si l’on regardait la situation du point de vue de notre interlocuteur !

Quand on se bat pour une cause délicate, il arrive souvent que l'on soit confronté à des personnes et des organisations qui n'ont aucun intérêt à voir notre requête entendue : les responsables, les assurances, les dirigeants, ceux à qui cela va coûter d'admettre et de changer...

Mais face à la douleur, globalement les interlocuteurs du soin sont justement là pour nous aider. Il peut cependant être utile de se mettre à leur place pour comprendre certaines aberrations.

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Quand je suis soignant et qu'une personne douloureuse vient chercher de l'aide, des réponses, un traitement auprès de moi, je peux :

  • avoir peur si j'écoute de devoir répondre et de ne pas savoir quoi faire. Il apparaît parfois plus "simple" de ne pas écouter, de me baser sur des résultats d'examens médicaux et de prescrire "quasi-anonymement" sans m'intéresser à la personne.
  • avoir peur de me sentir vulnérable. Je peux soit être trop touché émotionnellement, soit me retrouver en situation de ne pas savoir. Les soignants ont souvent été formés à trouver et à donner les réponses. Il peut être trop difficile pour certains d'être confrontés à l'échec de ne pas savoir. Ceux-là préféreront souvent ne jamais se confronter à un risque potentiel de laisser transparaître leur vulnérabilité.
  • complexifier la situation en y ajoutant mes propres failles. En effet, parfois, le vécu de l'autre me touche personnellement, parfois trop. Le risque est de ne pas avoir appris à séparer les faits, les émotions de l’autre de mes propres émotions.

Il peut arriver ainsi qu'un professionnel de santé réponde en se basant sur sa propre expérience ou celle d'un proche. Quand ce vécu n'est pas digéré, il est souvent teinté d'amertume. La réponse du soignant sera alors plus l'expression de sa propre émotion (ex: colère, tristesse, sentiment d'injustice...) que la réponse factuelle, argumentée et empathique d'un professionnel consciencieux.

Quelques pistes de réflexion

Que la situation soit une injustice subie, la douleur, ou quelque expérience vécue personnellement, nous avons parfois le sentiment de ne pas être entendu-e.

Avant même de recevoir une approbation, un soutien, ou même une réaction extérieure, le seul fait de se sentir entendu-e et compris-e est une étape énorme. C’est d’ailleurs souvent essentiel pour ensuite faire avancer la discussion et la collaboration.

Et si chacun des deux protagonistes pouvaient déjà accepter un temps d'écoute et de compréhension mutuelle, avant même d'envisager la suite !

Est-ce que cette analogie entre le prise en compte d'une injustice et de la douleur vous parle ? Voyez-vous des similitudes dans votre cas ou ceux de personnes autour de vous ?

N'hésitez pas à partager votre réflexion en commentaire !

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5 réponses à “La douleur c’est comme une injustice”

  1. Certains points de cet article vous parlent ou vous touchent ?

    N’hésitez pas à partager vos réflexions et vos expériences en commentaire.

  2. Chère Marie

    Bravo pour ce texte, tellement vrai.
    Pour aller plus loin, les études montrent un lien entre douleur et traumatisme et quand la justice n’est pas rendue ou mal rendue, que le traumatisme soit physique ou psychologique, la douleur se réactive tout au long de la vie… et ce sont nos patients douloureux chroniques, qui souvent continuent à ne pas être entendus.

    Lire Antoine BIOY sur le trauma et la douleur

    Bonne journée,
    Hélène Cullin

  3. Merci Hélène pour ce commentaire qui apporte des pistes complémentaires 🙂

    Concernant la réactivation de l’injustice/ du trauma, le récit que s’en fait l’intéressé, ainsi que les récits qu’il perçoit des autres sont aussi des pistes à creuser, en tant que réactivateurs qui peuvent être travaillés et apaisés (voir Boris Cyrulnik).

    Marie

  4. Merci Marie pour cet article, oui cela me parle, c’est tellement juste.
    Si la personne se sent écoutée, elle va sûrement vouloir mieux entendre les pistes qu’on peut lui suggérer…
    Lucille

  5. Merci Lucille pour ce commentaire.

    En effet je pense que le fait de se sentir entendu sera un prérequis à une démarche collaborative de soin.

    Mais je crois aussi que seule l’écoute ne suffira pas. Je pense qu’on ne s’implique que lorsqu’on se sent compris, qu’une relation de confiance a été établie, et surtout que l’on comprend soi-même pourquoi on s’engage dans telle direction. Stephen Covey le résume en une habitude : « cherchez d’abord à comprendre, puis à être compris ».
    Pour le soignant on pourrait « résumer » à : écoute, comprendre (échanger, reformuler, discuter) puis seulement proposition d’axe thérapeutique à expliquer jusqu’à atteindre un terrain d’entente commun. Un beau programme enrichissant de part et d’autre !

    Marie

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