Les visions de la douleur

On peut avoir différents points de vue pour observer la douleur. Comme plusieurs paires de lunettes 🥽 🔭 qui permettraient de l’observer sous différents angles, voire de l’observer de plus ou moins près.

Que l’on soit une personne souffrant de douleur ou un soignant, on a tous notre façon de voir la douleur. Un peu comme si on regardait le monde avec une paire de lunettes qu’on a oubliées à force de les avoir sur le nez. Et parfois on ne se rend plus compte qu’elles sont là et qu’on pourrait aussi en changer de paire de lunettes !

Différents angles d’analyse

Pour avoir différents points de vue, c'est comme si on chaussait des lunettes différentes. Par exemple, une paire de lunettes de vue nous permet de mieux voir certains détails ou certains petits caractères sur un mode d’emploi. Une paire de lunettes de soleil permet, elle, d’être plus à l’aise dans des conditions de forte luminosité. Avoir ainsi plusieurs paires de lunettes pour observer la douleur permet de mieux la voir à différentes occasions, ou du moins de la percevoir différemment en changeant d'angle d'analyse.

Douleur locale

Si je me cogne le genou, que j’ai mal au genou, qu’un bleu apparaît, que chaque appui sur la zone re-déclenche une douleur, qu'au moindre mouvement du genou ça fait mal… Bref, vous avez saisi l'idée. On parle d’une douleur locale.

Je n’ai peut-être même pas besoin de lunettes pour voir (et comprendre cette douleur).

Douleur à distance

Prenons un autre exemple. Si j’ai mal à une dent, ça pourrait être directement un problème lié à cette dent. Mais parfois le dentiste ne trouve rien de flagrant. Entre autres possibilités, ça pourrait être une douleur référée d’un muscle de la mâchoire, le masséter par exemple.

En douleur référée, on a (presque) tous déjà entendu parler de cette personne qui va voir son médecin avec une douleur dans le bras gauche. Avec d’autres signes et symptômes corroborants, le médecin annoncera peut-être à ce patient qu’il pense à un problème cardiaque. Dans ce cas, la personne ne décrit pas de douleur directement au niveau de la poitrine mais à distance.

Ces douleurs à distance sont appelées des douleurs référées (parfois aussi douleurs projetées ou rapportées). Ainsi les organes ou les muscles, par exemple, peuvent être à l’origine de douleurs référées, donc à un autre endroit que la localisation de ce même organe ou muscle.

Les nerfs aussi peuvent provoquer des douleurs à distance.

Vous vous rappelez sûrement vous être cogné le coude et ressentir cette douleur vive jusqu’à une brûlure ou décharge dans le petit doigt. Vous vous êtes cogné le coude, mais vous ressentez une douleur dans le petit doigt, à distance. Souvent même vous avez ressenti comme une décharge sur un trajet qui va du coude au petit doigt. On parle de douleur irradiée, qui généralement (mais pas toujours aussi systématiquement) va suivre le trajet d’un nerf.

Pour ces douleurs à distance, peut-être que ça serait comme de regarder les déports des lignes entre au-dessus et sous l’eau à travers un masque 🥽 de plongée. On s'attend à ce que la ligne continue toute droite, mais en fait elle est décalée. Elle n'est pas là où on l'attendait !

Différents points d'observation

Au-delà de la paire de lunettes qui va modifier la luminosité, la netteté, la perception de la douleur, on peut aussi décider de l'observer du plus ou moins près.

Focalisation

Certains se concentreront sur un détail. Pour les spécialistes, professionnels de santé, c'est souvent lié à leur formation et à leur technicité. Certaines personnes douloureuses aussi pourront focaliser leur attention sur un seul aspect.

Cette vision est très utile pour éliminer les problèmes identifiés, qui seront parfois l'origine unique de la douleur ou un élément contributif. Mais parfois leur résolution n'aura aucun impact sur la douleur, voire leur traitement sera difficile. Le problème sera parfois d'oublier la pluridisciplinarité. Et souvent, à force de se concentrer sur un aspect, celui-ci prendra encore plus de place et d'ampleur.

Il peut être intéressant d'analyser une problématique au microscope 🔬. Mais parfois à force d'avoir le nez collé sur la loupe grossissante, on ne voit plus rien d'autre autour. A force d’examens complémentaires, on peut inciter aussi à croire que la douleur n’a qu’une unique origine tissulaire.

Ainsi il est intéressant parfois de creuser un aspect en détail, mais parfois on manque de recul, d’autant plus quand l'approche initiale est non concluante.

Regard plus large

Prendre du recul face à la douleur, ça serait par exemple de reconnaître les multiples facteurs influençant l’expérience douloureuse. Pour les professionnels de santé, ça inclurait d'accepter de travailler en équipe ou de référer à des confrères d'autres professions. Pour une personne douloureuse, prendre du recul impliquerait de comprendre les diverses implications et mécanismes présents dans une douleur. Clairement le recul incitera à explorer le kaléidoscope des différentes approches.

Regarder de loin ça serait comme regarder à travers une longue vue 🔭. Parfois on ne verra pas tout en même temps, mais on aura la possibilité d'explorer différents panoramas.

Un autre point d'observation, serait d'inverser l'image. Se regarder dans le miroir, aller voir derrière le miroir. Cette observation permettrait de comprendre comment le cerveau construit la douleur. Elle permettrait aussi de comprendre comment une personne amputée peut ressentir des douleurs au niveau du pied absent.

Complexe ou facile d’observer la douleur ?

Si c’était facile, ça se saurait.

Déjà l’expérience douloureuse n’est pas aussi linéaire que ce qui est communément admis.

Mais une fois qu’on a entendu et compris que d’autres facteurs entraient en jeu, que les mécanismes n’étaient pas si directs, même là, il peut être difficile de voir la douleur différemment.

La difficulté peut être liée à nos croyances plus ou moins ancrées, mais aussi à notre capacité de voir. Il peut y avoir une notion d'envie. Parfois on n'a pas envie de prendre un autre point de vue, on n'a pas envie de voir certains aspects. Cependant parfois, on ne peut pas voir.

Un peu comme si vous mettiez des lunettes 3D. Pour certains il est très facile de voir en relief. Pour d’autres, il faut un peu de temps pour passer de l’image un peu floue teintée de contours rouges et verts. Il se peut même que vous ayez mal à la tête après avoir vu Avatar en 3D 😉. Pour d’autres encore, ça ne marche pas ! Vous n’arrivez pas à voir la voiture qui sort de l’écran ou la main qui s’approche de vous. Et certains ne pourront jamais voir en 3D.

Vous pouvez explorer un peu plus les différents points de vue sur la douleur dans cet article sur les différentes paires de lunettes. J'y aborde, entre autres, les conceptions biomédicales et biopsychosociales et la question de la douleur "c'est dans votre tête".

Les articles et nouvelles d'ABC Douleur

A travers ces articles, métaphores, histoires vécues (romancées et adaptées parfois) et réflexions partagées, mon objectif est de vous aider.

De vous aider, vous, particuliers vivant la douleur ou accompagnants d’un proche douloureux. De vous aider à peut-être comprendre la douleur différemment, à avoir des pistes pour la décrire, et peut-être des pistes pour l’aborder.

De vous aider, vous aussi, professionnels de santé et thérapeutes. De vous aider à conceptualiser la douleur parfois différemment de vos acquis, à mieux comprendre le vécu des patients et peut-être à adapter votre positionnement.

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