Réussir face à la douleur
L’idée de cet article est de poser les bases d’une réflexion et de proposer des pistes de discussion. Que veut dire réussir dans le contexte du soin ? Et plus particulièrement face à un patient douloureux, en quoi pourrait consister une prise en charge réussie ?
Concept de réussite
Cette notion de réussite est très personnelle. Tout dépend de ce que nous avons initialement fixé comme objectif.
Il a réussi sa vie.
Cette phrase-même peut représenter tellement de vies et de paramètres différents. A-t-il réussi parce qu’il a été heureux, parce qu’il a vécu vieux, parce qu’il a construit une belle famille, qu’il a mené de beaux projets, qu’il a gagné beaucoup d’argent… ?
Cette phrase est-elle l’expression de son propre retour, c’est-à-dire la façon dont lui-même considère sa vie, ou est-elle plutôt notre évaluation sur sa vie ? Nous n’avons souvent pas les mêmes critères de réussite.
Ces quelques mots, seuls, ne veulent pas dire grand’ chose. Il faudrait préciser la personne qui exprime ce point de vue et les critères qui permettent d’arriver à cette conclusion.
Par exemple : « je considère que j’ai réussi ma vie parce que j’ai accompli telle chose importante à mes yeux ».
Réussir un soin
Comment élargir la réflexion au domaine du soin ?
La première notion qui vient à l’esprit dans le domaine médical est celle de l’efficacité thérapeutique. Celle-ci est souvent basée sur des critères quantitatifs, observables, mesurables ou collectables, et analysables dans le cadre d’essais cliniques.
Il existe plusieurs paramètres existants pour évaluer l’efficacité thérapeutique :
- arrêt ou réduction des symptômes,
- augmentation du potentiel fonctionnel,
- gain d’autonomie,
- amélioration de la qualité de vie,
- satisfaction du patient,
- …
L’efficacité, c’est l’effet positif du traitement dans des essais cliniques ou des études en laboratoire.
L’efficience, c’est le service rendu par le traitement en situation réelle, une fois qu’il est disponible au public.
Article Comment évaluer l'efficacité d'un médicament
La distinction entre efficacité en recherche et efficience en clinique pose la question des critères pertinents une fois en situation de soin.
Il suffit d’entendre les retours de patients dont le traitement médicamenteux réduit les symptômes mais provoque des effets secondaires inconfortables (ce qui les amène parfois à stopper ce traitement qu’ils jugent inadapté), pour comprendre que la notion de réussite n’est pas limitée à l’efficacité thérapeutique seule.
Des paramètres plus globaux, peut-être plus subjectifs aussi, entrent en ligne de compte (ex : acceptation de la thérapeutique, balance bénéfices/effets négatifs…). La position clinique (contrairement à la position de chercheur) est justement de jouer avec les paramètres influençables (ex : suggestion positive, susciter une attente positive, augmenter la confiance, valoriser l’estime de soi et la confiance personnelle…).
Réussir en équipe
La particularité du soin est que, par le biais d’une maladie ou de symptômes, il met en relation deux protagonistes. Sans la problématique, souvent subie et non voulue, ces deux personnes ne se seraient jamais rencontrées.
Rien à voir avec un duo de tennis en double ou d’aviron deux de couple. Dans ces sports, l’objectif est normalement commun aux deux protagonistes : le jeu, la performance, les sensations, la gagne.
Dans le soin, chacun peut arriver avec ses propres critères de réussite.
Par exemple, pour la personne :
- en quête de soin : éliminer la problématique le plus rapidement possible et avec le minimum d’effort et d’engagement possible.
- pourvoyeuse de soin : amener l’interlocuteur à comprendre sa problématique afin de le rendre autonome dans ses comportements de santé.
Pour réussir en équipe, tout passe par l’échange et l’accord sur un objectif commun. Ce critère décidé communément sera unique, lié à la situation et aux deux protagonistes. Il correspondra à ce qui semblera le plus juste et le plus réalisable dans la situation donnée à ce moment-là.
Réussir pour vous
La façon dont vous envisagez la réussite pour vous-même est également importante et impactera vos interactions.
Pour un professionnel de santé, réussir pourrait par exemple signifier :
Gagner plus | Gagner ce qu’il faut |
Passer moins de temps | Passer le temps juste |
Aimer tous les aspects de son travail | Trouver une réponse équilibrée à ses besoins dans le travail |
Être plus dans l’action que la discussion | Trouver un équilibre entre action et discussion |
Ne jamais se sentir démuni à ne pas savoir répondre | Se sentir à l’aise d’exprimer des doutes et des fragilités |
Vouloir toujours trouver une solution | Accepter de co-construire les soins |
Décider, expliquer, clore un dossier | Ecouter, discuter, laisser l’autre libre de ses choix en responsabilité |
Pour un particulier en quête de soin, réussir pourrait signifier :
Ne jamais être malade | Accepter les aléas de la vie d’être humain |
Choisir la solution thérapeutique qui coûte le moins en ressources (ex : financière, temps, énergie) | Investir ce qu’il faut dans sa santé |
Trouver le professionnel qui règlera le problème | Trouver le professionnel qui sera à l’écoute |
Identifier et comprendre la cause | Comprendre et appréhender les multiples causes |
Attendre une solution du système de soins | S’impliquer et assumer sa liberté de responsabilité |
Mes réussites
Voici un partage de quelques réflexions que j’ai concernant la réussite de mes soins en tant que kinésithérapeute.
Responsabilité
Je ne peux être responsable que de ma part de travail. Si je respecte l’autre, je ne peux pas l’obliger ni prendre de décisions pour lui.
Mon propre critère de réussite ne peut donc pas tenir dans un résultat commun, puisque je n’en maîtrise qu’une partie. Cela reviendrait sinon à me positionner régulièrement en échec.
La conséquence est aussi que je ne m'attribue pas le mérite d'une prise en charge aux résultats positifs, car c'est le fruit d'un travail commun.
Critères personnels graduels
Afin de conserver ma satisfaction au travail, mon estime personnelle et ma motivation à vouloir accompagner l’autre, j’ai besoin d’établir des critères qui valorisent mon travail clinique.
J’ai, ainsi, un cheminement idéal à parcourir avec la personne douloureuse pour l’amener à comprendre, s’impliquer et améliorer sa qualité de vie. Cependant, je découpe ce cheminement en étapes. De nouveaux objectifs sont débloqués seulement lorsque mon interlocuteur le permet (un peu comme les niveaux d’un jeu vidéo).
Par exemple, je considère avoir réussi quand :
- j’ai donné au mieux de ce que je pouvais,
- j’ai abordé les points qui me semblaient pertinents,
- les séances permettent des prises de conscience,
- …
Reconnaître ses limites
Tant que j’ai considéré que le soin n’était que de mon ressort de professionnelle, que j’étais la seule à avoir les clefs, il était régulièrement voué à l’échec.
Avec du recul cela me semble évident aujourd’hui. Déjà parce que je partais avec un handicap : comment pouvais-je considérer pouvoir trouver « le coupable », comme dans une enquête policière, alors que je ne détenais que la moitié des indices !
Régulièrement, ainsi, il m’arrivait d’accuser le mauvais coupable et de me planter. En plus, cela était source d’insatisfaction, de remise en question et de diminution de mon estime personnelle. Je vivais aussi des réactions inconscientes face à l’échec répété et à l’obstacle, comme l’énervement ou la lassitude.
Trouver apaisement et aisance
Le déclic a été de prendre conscience de mes émotions, de les décortiquer pour répondre à ces besoins sous-jacents d’épanouissement.
Aujourd’hui je me lève tous les matins avec l’envie d’aller travailler, car je sais que je vais vivre, et faire vivre, de beaux moments.
Je ne peux que vous souhaiter le même déclic. 😊
Et pour vous, que veux dire réussir dans votre pratique ? Considérez-vous d’autres paramètres de réussite thérapeutique ?
N'hésitez pas à partager votre réflexion en commentaire !
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